Les yeux de l’hortensia – あじさいの瞳 (1)

La Bretagne est un pays de prédilection de l’hortensia. Combien de touristes, chaque année, sont en admiration devant les immenses « bouées » (ou touffes) roses, blanches, rouges et bleues, qui forment des taches multicolores dans les vieux parcs, devant les portes des maisons, ou dans les ruines de quelques vieilles demeures.
« Notes de technique horticole : L‘Hortensia en Bretagne »
Louis Winter, La Revue Horticole, 1937

 

 

L’Hortensia de Philibert Commerson, herborisé en 1771 ou 1773
Muséum national d’histoire naturelle – Paris
L’Hydrangea de Sir Joseph Banks, rapporté vivant en 1789 ou 1790
Première illustration par James Edward Smith en 1792 dans Icones pictae plantarum rariorum descriptionibus et observationibus illustratae, 1790-1793

 

 

 

C’était un peintre fou, fou de bleu. Il passait ses journées et ses nuits à peindre la mer ou le ciel, le feu ou les fleurs. Il cherchait désespérément un bleu qu’il ne trouvait point. Ceux qui le connaissaient l’appellaient Glas, comme la couleur de la mer en Breton. Très tôt, il commença à peindre et très vite, son obsession tourna au bleu. Enfant, son grand-père l’avait emmené dans un jardin d’hortensias d’un bleu tous différents, et, de tous ces bleus, il en avait pointé un du doigt et lui avait dit qu’il ressemblait aux yeux de sa mère disparue. Il avait ajouté qu’il était le descendant direct du premier hortensia planté en Bretagne. Des années plus tard, son grand-père mourut à son tour et il repensa à cette journée. Il voulut retrouver ce jardin et ce bleu qui ressemblait aux yeux de sa mère, mais la tempête de 1987 l’avait entièrement détruit. Il se mit alors à chercher le premier hortensia planté en Bretagne. C’est probablement à cette époque que les premiers

 

 

Facture des trois Hydrangeas paniculata commandés par Edouard André aux pépinières André Leroy d’Angers pour le parc du Bois-Cornillé le 4 décembre 1901

 

 

 

Sur internet, nulle part il était question de l’introduction des hortensias en Bretagne. Dans les revues, le seul article intéressant datait de 1937, « Notes de technique horticole : L‘Hortensia en Bretagne » de Louis Winter publié dans La Revue Horticole. On y apprenait que Rennes produisait un peu plus d’un vingtième de la production nationale, soit plus de 100 000 pieds d’hortensias par an, et que cette récolte était « presque complètement absorbée dans la province même » selon l’auteur, directeur alors des jardins de la ville de Rennes. Mais là encore, l’article parlait plus de la façon de cultiver des hortensias que de leur histoire en Bretagne. Il avait bien découvert les jardiniers-fleuristes de Paris qu’étaient Jacques Cels et Audebert neveu, les premiers à importer d’Angleterre, à la fin du 18e siècle, des hortensias vivants et à les multiplier, les colporteurs de l’Oisans et les hortensias d’Anjou, mais les traces de leurs activités s’arrêtaient aux Marches de Bretagne. La seule histoire qui semblait retenir l’attention était celle des origines épiques et romantiques, légendaires et maritimes, de leur introduction en Europe et en France au 18e et 19e siècle. De l’infortuné astronome Le Gentil au corsaire manchot et botaniste nommé Poivre, du jardin Le Pamplemousse sur l’Isle de France dans la propriété Mon Plaisir à l’histoire d’amour tragique du médecin allemand Philipp Franz von Siebold, du naturaliste français Philibert Commerson à l’explorateur anglais Sir Joseph Banks, en passant par la mathématicienne Nicole-Reine Lepaute, l’épopée des hortensias grouillait de personnages hauts en couleur et d’informations truculentes, malheureusement, le tout souvent incertain et jamais au sujet de la Bretagne. Il se tourna alors vers les passionnés et les collectionneurs, mais les réponses étaient toujours trop peu, fragmentaires. Isolées. Un article de Jean Laborey, « Petite histoire de l’hortensia Otaksa« , publié dans la revue Hommes & Plantes n°39 en 2001, qui rappelait la présence de spécimens « plus que centenaires » dans la propriété Ker Avel à Ploumanac’h ; l’achat de trois Hydrangeas paniculata par le jardinier-paysagiste Edouard André en 1901 pour le parc du Bois-Cornillé, soit la somme dérisoire de 1.80 francs sur un total de 941.95 francs de commande de plantes ; un message Facebook de Robert Mallet, fondateur du jardin Shamrock à Varengeville-sur Mer en Normandie, qui parlait du boom des ventes d’hortensias en Bretagne dans les années 1930, de leur utilisation dans les fêtes religieuses et du rôle des grands-mères dans leur multiplication, mais sans plus de précision. Contacté, celui dont la collection de 1200 variétés différentes d’Hydrangeas était reconnue dans le monde entier lui repondit qu’il n’avait pas plus d’information à lui fournir dans l’immédiat et lui conseilla de s’adresser au producteur angevin Didier Boos, lequel ne fut pas plus loquace. La plupart situait l’introduction des hortensias en Bretagne entre 1850 et 1950, mais personnes n’était sûr de rien. D’aucuns affirmaient même qu’il y en avait toujours eu, et d’autres, que c’etait la Bretagne qui avait exporté des hortensias vers le Japon. Et pourtant, l’arrivée du train et la naissance du tourisme, la mode du japonisme et celle des campagnes fleuries, les nouvelles créations horticoles et le développement des engrais chimiques, de la Belle Époque aux Années Folles les hortensias en Bretagne se répandent et tout concorde à leur l’introduction durant cette période. En 1919-1920 le très connu Touring-Club de France crée « le concours du village coquet » pour améliorer les conditions de salubrité dans les villages par leur fleurissement. Sur la période 1922-1924, la 3e édition de ce concours a lieu en Bretagne. Parmi la dizaine de villages récompensés, celui de Breteil en Ille-et-Vilaine, « dont l’école est gracieusement décorée de lauriers, de rosiers et d’hortensias« , reçoit l’attention toute particulière du jury.

 

 

 

« Vieille maison, île aux Moines, Morbihan »
Lhermitte Serpette, fin 19e – début 20e siècle

 

 

 

Tout peintre qu’il était, il entreprit de consulter tous les beaux livres qu’il possédait sur les peintres de la Bretagne du 19e siècle et de visiter toutes les bibliothèques qu’il connaissait. Une question le taraudait depuis le début. Sur les cinq séjours qu’il fit en Bretagne entre 1886 et 1894, Paul Gauguin avait-il peint des hortensias ? Il écrivit à des spécialistes de l’histoire de l’art de la Bretagne et découvrit que l’illustre Gauguin n’y avait jamais peint d’hortensia, pas plus que les autres. André Cariou, directeur alors du musée des Beaux-Arts de Quimper, lui avait répondu que si Gauguin n’avait pas peint d’hortensias à Pont-Aven ou au Pouldu c’était tout simplement parce qu’ils n’y en avaient pas. Virginie Foutel, spécialiste de Paul Sérusier, qui trouva la question fort intéressante, lui dénicha bien l’œuvre d’une certaine Lhermitte Serpette, « Vieille maison, île aux Moines, Morbihan« , représentant des religieuses dans une cour fleurie d’hortensias, mais la seule date qu’il put trouver pour cette peinture était fin 19e – début 20e siècle. Elle lui rappela aussi l’existence d’une grande nature morte du peintre léonard Yan’ Dargent représentant un hortensia bleu trônant au centre de la composition, mais rien ne disait quand et où ce « Bouquet de fleurs » avait été peint, si ce n’est avant le décès de l’artiste en 1899. Entre-temps, il contacta la pépinière de l’île de Bréhat surnommée l’île aux fleurs. « D’après les anciens, ils dateraient d’une centaine d’années, sans certitude« , lui repondit-on, soit une introduction dans le premier quart du 20e siècle. Il redécouvrit, tout peintre qu’il était, Malon et les hortensias de Maurice Denis, 1920, mais aussi Crépuscule aux hortensias, 1918, et Temps gris à Silencio, date inconnue, peut-être 1927. Là encore, tout pointait vers une introduction des hortensias au début du siècle dernier. Il écrivit à Claire Denis, la petite-fille du peintre, qui lui répondit le plus aimablement du monde. Elle lui apprit que son grand-père avait peint dans sa villa de Silencio à Perros-Guirec, villa balnéaire construite en 1894, une douzaine de tableaux entre 1910 et 1929 où figuraient des hortensias. Dans la première de ces peintures, Les premiers pas de Domi, elle lui fit remarquer la petite taille des hortensias représentés. De fil en aiguille, il en vint à s’interroger sur les stations balnéaires bretonnes de la 2e moitié du 19e siècle avec leurs villas, leurs parcs et leurs jardins, et sur le rôle de la « gentry anglaise » dans l’introduction des hortensias en Bretagne. Juillet arriva et il décida de faire le tour des parcs et des jardins de la péninsule. Il découvrit que les frères Denis et Eugène Bühler en avaient créés plus d’une douzaine à travers toute la région entre les années 1840 et les années 1870. Le professeur Louis-Michel Nourry, spécialiste des jardins, de celui du Thabor à Rennes et des frères Bühler, lui répondit qu’à sa connaissance, les choix de Denis, qui se répétaient d’un parc à l’autre, se limitaient systématiquement à trois plantes, les azalées, les rhododendrons et les camélias. Au Château du Bois-Cornillé au Val-d’Izé en Ille-et-Vilaine, Pauline de Malartic lui remit une copie de la facture des trois Hydrangeas paniculata commandés par Edouard André aux pépinières André Leroy d’Angers le 4 décembre 1901, et, au jardin de Pellinec, à Penvénan, Gerard Jean évoqua les années 1880, l’écrivain Ernest Renan et les premières stations balnéaires bretonnes.

 

 

 

 

« Catalogue raisonné de l’œuvre de Maurice Denis« 
Claire Denis – Fabienne Stahl, en préparation

 

 

 

Au château de Trévarez il rencontra Pascal Vieu, gestionnaire des collections botaniques de Chemins du Patrimoine en Finistère, qui lui parla longuement des hortensias. Il apprit ainsi qu’au strict sens du terme, la plante que l’on appelait communément hortensia était l’Hydrangea macrophylla et que seules les fleurs de cette espèce, avec celles de son proche cousin l’Hydrangea serrata, pouvaient virer au bleu. Que tout au long du 19e siècle il n’y eut que quelques clones d’Hydrangeas en circulation en Europe, jusqu’à une série d’expositions dans les années 1885-1890 qui suscita un nouvel enthousiasme pour la création de nouvelles variétés. Que l’explosion des hortensias en Bretagne avait accompagné celle des stations balnéaires au début du 20e siècle et qu’au château de Trévarez plusieurs centaines d’hortensias avaient été plantés autour de la Petite Prairie entre 1907 et 1914. Il comprit aussi et surtout que pendant longtemps, un manque d’appréciation, qui engendra une multitude de synonymes, régna autour de cette nouvelle plante aux nombreuses espèces et sous-espèces. Non seulement les systèmes de classification continuaient de s’affiner, mais pour ajouter à la confusion, la plupart des premiers Hydrangeas rapportés d’Asie était des cultivars, c’est à dire des plantes déjà cultivées, avec toutes les déformations de leur caractère botanique que cela impliquait. Ainsi, après l’Hortensia opuloïdes de Jean-Baptiste de Lamarck en 1789, l’Hydrangea hortensis de James Edward Smith en 1792 et l’Hydrangea hortensia de Siebold en 1826 ou 1828, il fallut attendre le travail du français Nicolas Charles Seringe en 1830, dans le monumental traité de botanique en 17 volumes initié par Augustin Pyrame de Candolle, Prodromus, pour regrouper sous un seul et même nom l’Hydrangea de Sir Joseph Banks et l’hortensia de Philibert Commerson, le tout en l’honneur du naturaliste suédois Carl Peter Thunberg qui, sous le nom de Viburnum macrophyllum, fut le premier Européen à le classer en 1784. Le terme Hydrangea macrophylla était né et celui d’hortensia disparaissait de la nomenclature officielle.

A suivrePour voir les photos et la traduction en japonais, cliquez sur http://bretonsdujapon.com/

Gwendal Diabat
グウェンダル ディアバ

 

Article mis en ligne avec l’autorisation de Gwendal Diabat par DMS