Les yeux de l’hortensia – あじさいの瞳 (2)

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Les yeux de l’hortensia – あじさいの瞳 (2)

A Morlaix, sur la grande place, autour d’un monument public, il y avait des plates-bandes et des massifs plantés presque exclusivement en Hortensias. Eh bien ! on voyait là ce qu’on dit exister au Japon : des Hortensias roses, des bleus, et tous les intermédiaires.
« Les Hortensias bleus »

Élie-Abel Carrière, La Revue Horticole, 1882

 

Quel est le « monument public » dont parle Élie-Abel Carrière ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Des variétés nord-américaines nivea, radiata ou quercifolia aux mésaventures de l’imbuvable Charles Maries en Chine, en passant par l’Écossais Buchanan, le Danois Wallich, le malheureux Siebold ou le Russe Maximowicz, d’une vingtaine d’espèces d’Hydrangeas répertoriées dans les années 1830 à plus d’une quarantaine dans les années 1880, les nouvelles introductions sont régulières jusqu’à la fin du 19e siècle, date à partir de laquelle arrivent sur le devant de la scène horticole des obtenteurs comme Lemoine, Mouillère ou Cayeux. Ce sont alors plusieurs centaines de varietés nouvelles d’Hydrangeas qui sont créées en l’espace de 50 ans. Pour aussi intéressant qu’était cette histoire, il n’était pas plus avancé sur celle du premier hortensia planté en Bretagne. Il écrivit aux jardins de Rennes qui voulurent le mettre en contact avec le professeur Louis-Michel Nourry, mais c’était déjà chose faite. Ceux de Nantes mirent en copie de leur réponse plusieurs spécialistes mais aucun ne réagit. La Société Nationale d’Horticulture de France l’invita à poser sa question sur son site Hortiquid où son message se perdit et d’autres voulurent lui faire croire que toutes ses recherches étaient à refaire. Il y avait aussi ceux qui lui parlèrent de légendes et de véritable imbroglio. Il commençait à ne plus y croire. Plante emblématique de la Bretagne qui faisait la fierté des Bretons, symbole de notre région, roi des arbustes et fleurs de nos étés, comment se faisait-il que l’on en sache si peu sur l’introduction des hortensias en Bretagne ? Il retourna voir Pascal Vieu au château de Trévarez et lui fit part du mur contre lequel il buttait. Il n’arrivait pas à remonter plus loin que le tout début du 20e siècle. Il avait pourtant bien cru à la piste du jardin botanique de l’hôpital de la marine de Brest qui fut détruit par les bombardements américains de 1944, mais personne ou presque ne lui avait répondu. C’est alors que Pascal Vieu lui parla de l’Hydrangea rubra qui survécut à l’hiver de 1862 dans ce même jardin selon le « Jardins botaniques de la Marine en France – Mémoires du chef-jardinier de Brest Antoine Laurent (1744-1820) » de Claude-Youenn Roussel publié en 2004. Il y était aussi question d’une commande d’Hydrangea arborescens au jardin des plantes de Paris en 1807, mais personne ne savait si elle avait été exécutée. Il lui apprit également que les premiers hortensias plantés à Trévarez l’avaient probablement été entre 1898 et 1905 sur la pente Nord du château. Lorsqu’il voulut savoir quel Hydrangea était cet Hydrangea rubra, Pascal Vieu lui répondit qu’il n’en savait rien, mais que c’était probablement un synonyme de l’Hydrangea rosea ou un macrophylla de couleur plus foncée.

The hortensia Hydrangea macrophylla DC.
and Hydrangea Serrata DC.


 

 

 

Ernest Henry Wilson,  Journal of the Arnold Arboretum
Vol. 4, No 4, October 1923
Liste de synonymes de l’Hydrangea macrophylla, p 234

 

 

 

 

 

 

 

 

Il ne lui restait plus que les religieux, qu’avaient effleurés Robert Mallet et Pascal Vieu, les photos de la Bretagne du 19e siècle et les premières stations balnéaires bretonnes. Sa grande-tante, qui était bonne-sœur à Morlaix, et les retraités qu’elle côtoyait, ne purent rien lui apprendre, et dans l’album photos en noir et blanc qu’il avait commandé, « Photographes au XIXe siècle : les nouveaux imagiers de la Bretagne« , aux éditions Coop Breizh, il ne trouva aucune photo d’hortensias. Il interrogea Isabelle Barbedor, chercheuse et directrice de l’Inventaire et du Patrimoine Culturel de la Région Picardie qui avait longtemps travaillé en Bretagne sur les stations balnéaires. Pour toute réponse, celle-ci lui fit part de ses doutes quant au rôle des Anglais dans l’introduction des hortensias à Dinard ou à Saint-Malo, et lui envoya le bulletin de la Société d’Horticulture du Département de Seine-et-Oise du 8 janvier 1852. Quelle ne fut pas sa surprise d’y découvrir que deux personnalités bretonnes de l’époque, l’une savante, l’autre politique, présidents successifs de cette même société d’horticulture en 1851 et 1852, attestaient de la présence d’hortensias en Bretagne au milieu du 19e siècle. Le premier, Armand du Chatellier du château de Kernuz à Pont-l’Abbé, qui lui même cultivait des hortensias, rappelait qu’en Bretagne « cette plante se couvre chaque année de fleurs fort belles et nombreuses« . Le second, le député Louis Bernard, dit de Rennes, affirmait avoir été « à même d’admirer pendant longtemps la belle végétation que les hortensias prennent en Bretagne« . Il repensa aux vieilles demeures et aux vieux parcs dont Louis Winter avait parlé et décida de retourner sur internet. Alors, comme une digue qui cède, il fut submergé d’un flot nouveau d’informations. Les témoignages d’hortensias en Bretagne tout au long du 19e siècle affluèrent. En 1896, la revue belge L’Art Moderne écrivait « Dinard possède, il est vrai, quelques villas de grande allure qui allongent leurs parcs jusqu’aux flots dont les écumes viennent se jeter sur des hortensias en fleurs« . Les guides de voyage Joanne, ancêtres des guides Bleus, vantaient en 1886 non seulement les hortensias en pleine terre du couvent des sœurs de Saint-Louis à Saint-Gildas-de-Rhuis, mais aussi ceux qui « prospéraient » au Pouldu. À l’exposition horticole de Brest en 1884 c’était « une corbeille d’Hortensias Thomas Hoog » que l’on pouvait admirer. En 1876, dans un article de la Revue Horticole, « Des hortensias à fleurs bleues« , l’horticulteur et botaniste de renom Élie-Abel Carrière racontait son tout récent périple en Basse-Bretagne : « A Morlaix, devant l’hôtel de ville, il y avait dans une plate-bande un très grand nombre de pieds d’hortensia, les uns à fleurs bleues, d’autres à fleurs roses, et dont beaucoup même portaient à la fois des fleurs de ces deux couleurs. Pourquoi ? À Brest, au jardin botanique de l’hôpital maritime, tous les hortensias étaient à fleurs roses, tandis que dans un terrain voisin tous étaient à fleurs bleues. […] À Saint-Pol-de-Leon, à l’hôtel des Bains, où nous étions descendus, il y avait de chaque côté de la porte, à 1m50 de distance, une énorme touffe d’hortensia, portant chacune des centaines d’inflorescences.«

 

 

 

Amazing hydrangeas in Brittany France
Walkabout Gourmet Adventures

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En 1873, toujours à Brest, un certain Monsieur Le Bian affirmait à propos des hortensias dans son jardin, qu’ »il voyait tous les ans, sur les mêmes pieds, un mélange de fleurs roses et de fleurs bleues« . Dans le compte rendu des séances de la Société de Biologie du mois de janvier 1868, le docteur Manuel Leven racontait avoir demandé à leur confrère Monsieur Hardy de bien vouloir « analyser des échantillons de terre recueillis à Mûr-de-Bretagne, près de Loudéac (Côtes-du-Nord), dans une propriété appartenant à M. Le Cerf, où les hortensias deviennent toujours bleus« . En 1867, dans les annales et résumé des travaux de la Société Nantaise d’Horticulture, « M. August Boisselot fait remarquer qu’à Nantes, l’hortensia bleu est très commun« . Dans le Bulletin de la Société Académique de Brest, Volume 1, de 1859, on pouvait lire qu’à Posporder, au manoir à l’abandon de Kermenou, dans l’escalier conduisant à la fontaine, « entre les fissures des pierres a poussé un magnifique hortensia, qui, par ses proportions énormes, est devenue une vraie curiosité« . Selon l’agronome Gustave Heuzé, dans la Revue Horticole, volume 28, de 1856, l’hortensia se couvrait annuellement de fleurs bleues dans les environs de Rennes et de Nantes. Dans un cas d’hortensias bleus qui fit l’objet de plusieurs communications dans les revues horticoles de l’époque, à Lambesellec ou à Lanvian, de part et d’autre de Brest, chez Monsieur Rendu et Monsieur Moreau, L’Écho du Monde Savant rapportait dans son édition du mercredi 25 mars 1840 que ce dernier « depuis vingt ans qu’il a fait transplanter ses hortensias en sol argileux et compacte, ils fleurissent toujours bleus« . En 1839, le pharmacien et botaniste Charles Auguste Moisan écrivait dans son livre Flore Nantaise, que l’Hortensia opuloïdes « se cultive dans tous les jardins comme ornement« , et en 1836, dans le compte rendu des séances de la Société Royale d’Horticulture de Paris du 16 mars, le docteur Adrien Jacques de Lens faisait remarquer que « dans le voisinage de Quimper, les hortensias atteignent une hauteur de 6 à 7 pieds, et qu’ils ont les fleurs bleues« . Le préhistorien Jacques Boucher de Perthes, qui fut inspecteur des douanes à Morlaix entre 1816 et 1824, écrivait en 1831 dans ses Chants Armoricains qu’en Basse-Bretagne « les myrthes, les hortensias, y viennent partout en pleine terre« . Dans les années 1820, l’hortensia est l’un des « principaux ornements des parterres » en France et il est déjà « bien connu que les fleurs d’hortensia deviennent bleues lorsque l’on mêle de l’ardoise pillée dans la terre ou il végète« . Dans les années 1810 « les fleurs à la mode sont les marguerites et les boules d’hortensia« . En 1817 le français Jean-Louis-Auguste Loiseleur-Deslongchamps écrivait, à propos des hortensias, que « une seule espèce originaire de la Chine, apportée en Europe il y a environ 26 ans, est généralement cultivée aujourd’hui par tous les amateurs, à cause de la beauté de ses fleurs« , tandis que près de 60 ans plus tard, en 1876, l’anglais William Botting Hemsley déplorait dans les colonnes de l’hebdomadaire The Garden que seul « l’Hydrangea hortensia, ou Hydrangea commun« , soit cultivé par le plus grand nombre. Dans les années 1804-1805, l’hortensia est encore considéré comme une plante d’orangerie.

 

 

 

Les 41 temples aux hortensias visités par Glas

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tout cela était bien beau, du plus beau des bleus même, mais qu’en était-il du premier hortensia planté en Bretagne ? Était-ce un clone de l’Hydrangea macrophylla rapporté par Sir Joseph Banks ? Savions-nous seulement de quel hortensia il s’agissait exactement ? Monsieur Rendu et Monsieur Moreau, de Lanvian ou de Lambesellec, étaient-ils les premiers à avoir planté des hortensias en Bretagne ? Rien n’était moins sûr. Qu’il en soit ainsi, s’était-il alors dit. Il irait au Japon trouver ce bleu. Ce serait son pèlerinage à lui. Il fit une liste de 41 temples aux hortensias, arriva début juin à Tokyo, parcourut plus de 5 000 km en six semaines et les visita tous un par un. Il survola tant et si bien le pays qu’il finit par faire corps avec lui, mais il ne trouva pas pour autant le bleu qu’il cherchait. Ce voyage et ces revers successifs aggravèrent considérablement son état. Arrivé au dernier temple, il en fit le tour et s’effondra. Un prêtre, qui l’avait remarqué dès son arrivée, vint à sa rencontre. Glas lui raconta qu’il cherchait les yeux de l’hortensia et que ces derniers étaient d’un bleu unique. Le prêtre alla alors chercher dans sa réserve une poignée de graines et la lui offrit. Mais Glas n’était déjà plus de ce monde. Désespéré, il décida de mettre fin à ses jours. Il irait se noyer dans le bleu de l’océan. Il se dit que du haut de la péninsule d’Izu, berceau de l’Hydrangea macrophylla, il apercevrait peut-être enfin cet hortensia qu’il cherchait depuis si longtemps. Il sauta des falaises de Jogasaki, tomba dans un tourbillon de fleurs bleues et atterrit non loin d’un bateau de plaisance, lequel le repêcha aussitôt. À bord, il délirait et répétait en boucle tous les bleus qu’il connaissait. À l’hôpital, il tomba dans un profond coma. Il fut rapatrié en France où, à l’aéroport de Roissy, sa mère l’attendait. Elle le ramena en Bretagne et dans le fond de son sac trouva les graines du prêtre. Elle les planta et en prit soin comme de son fils. Au bout de presque 6 années, un jour de pluie, Glas sortit du coma et vit par la fenêtre, dans le jardin de sa mère, des hortensias en fleurs de ce bleu qui l’avait rendu fou.

 

Temples aux hortensias, ajisai-dera en japonais

 

Outre toutes les personnes citées dans le texte, je souhaite remercier Joël Mordellet du jardin de Kernévez, Ginette Caillebot, Danielle Macé-Scaviner, présidente de L’association Jardin Passion Lannion, Nolwenn Herry du Domaine de la Roche-Jagu, Michel Le Damany de la pépinière Lepage Bord de Mer et Mikaël Le Gouareguer du blog histoiresdemorlaix.wordpress.com pour l’aide qu’ils m’ont apportée dans mes recherches sur l’introduction des hortensias en Bretagne.

 

Texte et carte de Gwendal DIABAT
Traduction en japonais de Eko OGAWA
本文/地図 グウェンダルディアバ
日本語訳 小川恵子

Pour voir l’article avec les photos plus nettes, cliquez sur le lien : http://bretonsdujapon.com

 

Article mis en ligne avec l’autorisation de Gwendal Diabat par DMS.