N’eo ket chistr avalo pin eo !
Ce n’est pas du cidre fait avec des pommes de pin (plaisanterie trégorroise)
L’adoption du cidre comme boisson quotidienne en Bretagne et surtout en Basse-Bretagne fut tardive. Néanmoins, les Bretons mirent les « goulées doubles » pour rattraper ce retard. La progression s’effectua dans le sens est-ouest, à partir de la Normandie.
Au XVIIe siècle, l’eau, la bière et le vin l’emportaient encore sur le cidre dans les villes du Léon et du Trégor. Au début du XIXe siècle (1829), il semble qu’il y avait encore des réticences à planter des pommiers dans la région. Un siècle plus tard, la consommation devenait très forte en Haute-Bretagne puisque les statistiques annonçaient une consommation annuelle (1909) par tête d’habitant de 450 litres à Rennes (250 litres à Caen et 5 litres à Paris) contre 30 litres de vin. La Basse-Bretagne n’allait pas tarder à se mettre au diapason.
Selon les années, c’est-à-dire, selon le temps, la récolte de pommes est plus ou moins bonne. En général, un pommier donne des fruits une année sur deux. L’observation des anciens dans la nature permet de prévoir les rendements. En Bretagne, quand il vente dans les Avents, ou quand il fait du soleil la veille de Noël, la production promet d’être belle. Au Printemps, il vaut mieux voir les fleurs avant les feuilles :
Pa vez gwelet an delioù araok ar bleuñ,
An ever jistr a nevez keuñ.
Quand on voit les feuilles avant les fleurs,
Le buveur de cidre a des regrets. (il n’y aura pas de pommes)
Au mois de mai, on observe encore la couleur du ciel :
Pa ra brumenn deiz kentañ a viz Mae
Ar Normanted ‘bil o gwragez.
Quand il y a de la brume le premier mai.(il n’y aura pas de cidre)
Les Normands battent leurs femmes.
Et au mois de juin, les regards se tournent à nouveau vers les arbres :
Pa vez gwelet un aval da Ouel-Yann
Da Ouel-Mikael ‘vez gwelet kant
Quand on voit une pomme à la Saint-Jean
A la Saint-Michel on en voit cent.
Lorsque les pommiers étaient chargés de fruits les anciens disaient que ce serait une année à problèmes pour les femmes (filles) Ur bloavezh a drubuilh evit ar merc’hed ! Inutile d’expliquer pourquoi.
Pour obtenir du bon cidre, il faut se procurer des pommes de différentes variétés. Dans les vergers de la région de Ploubezre on remarque par exemple des Frikin (fréquins) an eslac’h, Frikin chartr ruz, Pomme d’or, Dous Tonkedeg, Dous an Normandi, Dous haveg (doux-évêque), Avaloù penn-kazh, Avaloù penn-kalet.
Pour avoir du bon cidre, il faut effectuer un mélange de variétés douces et amères : dous ha c’hwerv. Il faut aussi qu’elles soient bien mûres : darv ha meür, qu’on puisse enfoncer le pouce en les écrasant. Les premières pommes qui tombent, avaloù kozh-kouet, servent à faire la soudure mais elles font un cidre qu’il faudra consommer rapidement.
Après la moisson déjà, la cave a bien souffert et c’est le moment de contrôler le niveau des barriques. Krog eo da son glas, da son kleuz, elle commence à sonner le glas (sonner le creux), dit-on d’une barrique presque vide, ou encore : Sec’h eo an tuvod : les lattes, les douves sont sèches, c’est à dire, le cidre est au niveau le plus bas. Les crus dépendent de la nature du sol. Les bons sont sur le caillou ou le sable.
Après le broyage, il faut laisser les pommes reposer, prendre de la couleur, kemer liv. Ainsi le cidre sera bien coloré et parfumé. Pour faire la motte ar voudenn, il faut prendre de la paille d’avoine, bien longue et bien sèche, surtout pas moisie. Une fois faite, il faut laisser la motte se tasser avant de mettre les planches, ar c’hoad, sur le dessus, pour la serrer. Voici le moment tant attendu par les enfants pour boire le cidre nouveau avec la paille que leur tendent les anciens avec malice. C’est délicieux, car très sucré, mais attention aux conséquences qui précipitent les petits derrière le talus pour une urgente plegadenn : Ar foerell, an tronchevit, la diarrhée.
Quand on commence à serrer la motte, le liquide doré coule dru dans la demi barrique. Là encore, il ne faut pas aller trop vite car le joli tas pourrait se défaire. A l’aide d’un tamis et d’un seau, on met le jus en fûts. Ensuite on laisse fermenter.
Il est très important d’avoir des barriques bien propres. Quand le cidre bout, il faut qu’il rejette de la lie par la bonde restée ouverte et que ressorte un beau champignon, Bomisset ‘neus, skoet ‘neus li er-maez. C’est mauvais signe quand on voit sortir de l’écume blanche, eonenn wenn, nous disait Manuel Le Mestre notre voisin. On attend environ cinq à six semaines avant de le soutirer, en lune descendante, tennañ ‘neañ diwar e li war an diskar loar. Puis on attend une autre quinzaine. Il lui arrive parfois de rester longtemps brouillé, chom a ra brouilhet, ‘dislav ket.
Les anciens disaient alors qu’il fallait mettre une poignée de grains de blé dans la barrique pour qu’il puisse se décanter. Enfin, quand il est bien clair, si le ciel est sans nuages, et si on est encore en période de lune descendante, on peut le mettre en bouteilles.
Ar jistr mat graet gant avaloù, sklaer evel dour aour
Dorr ar sec’hed d’ar pinvik kenkoulz evel d’ar paour
Le bon cidre fait avec des pommes, clair comme de l’eau dorée
Casse la soif du riche autant que celle du pauvre.
DG