La bûche de Noël et la magie du feu

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La bûche de Noël et la magie du feu

Parmi les divers rites de Noël, il en est un premier, fort répandu en Bretagne et ailleurs, c’est celui de la bûche, non pas le gâteau, bien sûr, mais la pièce de bois. Diversement nommée en breton selon les secteurs, kef, skod, chaos, tousenn, etv Nedeleg, elle était mise de côté longtemps à l’avance (pour être bien sèche) et choisie parmi les plus gros morceaux de chêne, vieille souche ou têtard plein de noeuds. On utilisait un morceau du tison de l’année précédente pour allumer la bûche de l’année. Ainsi se perpétuait le cycle du feu sacré d’une année à l’autre.

Noël et la magie du feu 001
Noël et la magie du feu 001

C’est le père ou le grand-père qui plaçait solennellement la bûche dans la cheminée, l’aspergeait d’eau bénite et disait quelques prières. Selon la tradition, elle devait brûler lentement dans la cheminée, de Noël au jour de l’an pour les uns, jusqu’à l’Épiphanie pour d’autres. Pour l’empêcher de se consumer entièrement, on l’écartait de temps en temps de l’âtre. Ensuite, le morceau qui restait était conservé soit près de la cheminée, soit sous le lit, soit même encore dans le grenier. De même que la bûchette ou tison de Saint-Jean, kef ou itev sant Yann, on lui reconnaissait la vertu de protéger la maison contre le tonnerre. Quand les éléments se déchaînaient, on remettait le morceau calciné dans le feu.

Ainsi, ces restes de feu sacré, domestique ou communautaire, étaient censés annuler les effets malfaisants d’un autre feu, celui du ciel. Cette croyance est attestée au début du XVIIe siècle dans le Doctrinal an Christenien, ainsi d’ailleurs qu’une autre tradition relative aux fruitiers :
Petra livirit-u eus a re a laqua da nedelec ereou plous voar dro ar gues, a laqua eteo Nedelec en tan pa ve curun (…) An traou-se so pec’hedou enep ar c’hentan gourc’hemen.
Que dites-vous de ceux qui mettent à Noël des liens autour des arbres, qui mettent le tison de Noël au feu quand il fait du tonnerre (…) Ces choses-là sont des péchés contre le premier commandement.

Le tison de Noël avait d’autres vertus comme par exemple à Plouray où on le plongeait dans l’eau que l’on donnait à boire aux vaches qui venaient de vêler : Ar glaou veze lakaet ‘barzh ur sailhad dour ha roet d’ar saout nevez halet. Il favorisait, dit-on, l’expulsion du délivre.

Le pouvoir de la bûche de Noël, Cyff Nadolig, sur les récoltes était reconnu au pays de Galles. A Llansanffraid, dans le Montgomeryshire, comme le voulait la tradition, on retirait la bûche de Noël de l’âtre à l’issue des douze jours et l’on recueillait une partie de ses cendres. Ces dernières avaient dit-on la vertu d’éloigner tous les maux et on en mélangeait un peu au grain des prochaines semailles afin d’obtenir une bonne récolte.

La bûche et le lien avec les âmes des défunts :
Selon les anciens du Trégor, les uns disaient que le feu de cette bûche devait réchauffer de manière symbolique, les pieds de l’enfant Jésus, ar mabig Jezus, qui venait de naître dans la crèche et les anges qui lui tenaient compagnie. D’autres prétendaient que c’était pour procurer de la chaleur aux âmes toujours frigorifiées des défunts qui à cette période de l’année revenaient visiter les lieux qu’ils avaient fréquentés de leur vivant. Il était donc essentiel de tout faire pour satisfaire ces visiteurs nocturnes dont on connaissait trop le pouvoir et l’influence sur les vivants.

C’est pourquoi également, on laissait sur la table un peu de nourriture à leur intention. On note la même croyance en Irlande : In County Armagh, on Christmas-eve you put on a good fire before you go to bed, sweep the floor, put bread on the table and keep a candle lit and the door unbarred. Some held that such preparations were to welcome deceased members of the family returning to the old home on Christmas Eve. Some households lit a special candle for one of the family who had died since last Christmas.Dans le comté d’Armagh, la veille de Noël, vous faites un grand feu dans la cheminée avant d’aller au lit, balayez le plancher, mettez du pain sur la table et laissez une chandelle allumée et ne fermez pas la porte à clé.

Noël et la magie du feu 002
Noël et la magie du feu 002

Certains prétendaient que ces tâches étaient effectuées pour accueillir les membres défunts des familles qui revenaient dans leur ancienne maison la veille de Noël. Certaines maisons allumaient une chandelle spéciale pour un membre de la famille décédé depuis le Noël précédent. Anatole le Braz apporte encore d’autres précisions à ce sujet : « Il est dans l’année, trois circonstances, trois fêtes solennelles où tous les morts de chaque région se donnent rendez-vous : la veille de Noël, le soir de la Saint-Jean, le soir de la Toussaint. La nuit de Noël, on les voit défiler par les routes en longues processions. Ils chantent avec des voix douces et légères le cantique de la Nativité; on croirait à les entendre que ce sont des feuilles des peupliers qui bruissent, si, à cette époque de l’année, les peupliers avaient des feuilles.
A leur tête marche le fantôme d’un vieux prêtre, aux cheveux bouclés, blancs comme neige, au corps un peu voûté; entre ses mains décharnées il porte le ciboire. Derrière le prêtre vient un petit enfant de choeur qui fait tinter une minuscule clochette. La foule suit sur deux rangs. Chaque mort tient un cierge allumé dont la flamme ne vacille même pas au vent. On s’achemine de la sorte vers quelque chapelle abandonnée et en ruines, où ne se célèbrent plus d’autres messes que celles des âmes défuntes ».

DG